Campagne perdue, je te pleure
Bipolaire,
cyclothymique, border line… Elles me collent à la peau ces étiquettes de
maladies nouvelles qui s’inventent à la pelle. Mais quand le diagnostic se
déguise, « autolyse » vaut bien déprime et folie. « Ton esprit
bat la campagne », répète, agacé, mon compagnon actuel. Il ne croit pas si
bien dire !
La campagne…
Je hais le béton,
les tags, les papiers gras, les cigarettes oubliées, les incivilités. Je hais
les portes closes, les grilles qui claquent, la beauté soudoyée, la grâce
emmurée. Je hais les odeurs du RER, la sueur, la crasse, les gaz d’échappement,
les menaces de grippe, d’attentat, d’asphyxie.
Je pleure.
Je pleure ma
campagne. Les verts olivâtres de ses plaines fertiles, les rouges incarnat de
ses coquelicots, les glycines s’enroulant en coin dans l’ombre des vieux puits.
Je pleure les murs disparus de noble pierre calcaire, les escaliers polis par
le temps s’enfuyant dans les granges, la lumière dorée jouant sur les
persiennes bleu clair. Je pleure les couleurs du ciel et de la terre, les
acidulés et les veloutés du buis, du calament. Je pleure les pas à pas
d’autrefois, l’âcreté des derniers feux de cet automne-là.
Je pleure la
glèbe de mon enfance que l’on tourmente, que l’on violente, que l’on terrasse
sous des tonnes de granulats. Les rivières détournées, asséchées, qui se
meurent. Les abeilles à la peine. Je pleure sur les faux serments, les
renoncements, les illusions perdues. Sur les espaces anonymes d’un gris sale,
la mécanisation pressée et chaotique, l’horizon brouillé des jours à venir. Je
pleure la douceur de vivre, les heures lentes et sereines, la Nature et l’Homme
assortis. Je pleure mon village défiguré.
« Enlèvement
immédiat » ont-ils dit.
Ma tête folle bat
la campagne
Cet article participe au rendez-vous mensuel « Mots éparpillés » de Margarida Llabres et Florence Gindre, projet inspiré par « Mots sauvages » de Cécile Benoist.
Agnès, en te lisant, je me suis, d'un seul coup, dit :
RépondreSupprimer' Mais qu'est-ce que je fous à Paris ?'
Merci pour ce texte,
C'est vrai que la plus belle ville du monde me semble de moins en moins avenante. Il me semble aussi que la campagne perd peu à peu son âme.
RépondreSupprimerAu plaisir de tes visites
Mince, comme je le craignais, mon commentaire n'est pas passé.
RépondreSupprimerJ'avais pris connaissance de ton texte avec plaisir.
Tu donnes envie d'aller faire un tour à la campagne :)
Merci Florence.
RépondreSupprimerDes idées plus sereines, avec soleil et fleurs bleues, naîtront peut-être de la photo que tu nous proposes pour le 15 décembre.